« Séparer les écrivains ukrainiens des écrivains russes est un processus non seulement délicat, mais franchement politique »

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En février 2023, lors d’un ­déjeuner officiel organisé à Kiev entre les ministres de la culture ukrainien et français, quelqu’un a abordé la question de la maison-musée de Boulgakov. Plusieurs des artistes ukrainiens présents estimaient qu’elle devait être fermée, une position répandue dans la société ukrainienne. Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), le génial auteur du Maître et Marguerite, est né (d’une famille ethniquement russe) dans cette maison et y a grandi, fréquentant un ­lycée d’élite de la ville. Il a écrit sur Kiev. Mais il n’acceptait pas l’idée que l’Ukraine puisse être indépendante et, dans sa pièce Les Jours des Tourbine, il écrit, à propos de la tentative de l’hetman Symon Petlioura d’imposer la langue ukrainienne : « Qui a terrorisé la population russe avec cette langue ignoble, qui n’existe même pas dans le monde ? »

La question de savoir qui considérer comme un écrivain ukrainien s’était imposée à moi quelques mois plus tôt, après l’invasion russe, lorsque je m’étais retrouvé à contempler mes étagères de littérature « russe » et à me demander si je ne devais pas ranger les auteurs ukrainiens à part. Mais qui, au juste, devrais-je considérer comme un écrivain « ukrainien » ? Sur quels critères ? La langue seule ne suffirait pas, ni la géographie, ni même l’opinion de l’écrivain. En étudiant les biographies des uns et des autres, j’en suis venu à comprendre que séparer les Ukrainiens des Russes serait un processus non seulement délicat, mais franchement politique. Car ce labyrinthe d’histoires personnelles en dit long sur la nature des empires et de leurs habitants multilingues, sur les guerres et les frontières mouvantes, sur la construction d’une nation et sa répression.

Il faut bien commencer quelque part, et j’ai commencé par m’asseoir en regardant le dos des livres. Les livres rédigés en ukrainien auraient été un point de départ évident. Mais, à ma grande honte, je me suis rendu compte que je n’en possédais qu’un, une traduction de poèmes de Taras Chevtchenko (1814-1861), le fondateur de la langue littéraire ukrainienne moderne. Il y en a tant d’autres que je n’ai pas encore lus. L’Ukraine indépendante a produit des dizaines d’écrivains merveilleux, tels Iouri Androukhovytch (né en 1960), que feu mon éditeur catalan, Jaume Vallcorba, avait bien connu et publié ; Serhiy Jadan (né en 1974), que j’ai vu lire ses poèmes à Kharkiv en mai 2022, alors que les Russes bombardaient la ville ; ou Victoria Amelina (1986-2023), assassinée par une frappe ­ciblée à Kramatorsk, quelques jours après que j’aie partagé la scène avec elle lors d’un festival littéraire à Kiev.

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