Retour de la crise de pain : l’état entre le marteau et l’enclume !

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La pénurie de pain serait-elle de retour ? C’est ce que craignent les professionnels, si le ministère du Commerce n’intervient pas rapidement. Les files d’attente devant les boulangeries sont de retour mais vu le manque d’approvisionnement en farine et semoule et vu les arriérés de compensation, le risque d’une nouvelle pénurie est bien là, préviennent les boulangers.

Le trésorier de la Chambre syndicale nationale des boulangers, relevant de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Sadok Haboubi, a multiplié, ces derniers jours, les appels pour qu’on vole au secours des boulangeries. Des appels adressés au ministère du Commerce, au président de l’Utica Samir Majoul et même au président de la République, Kaïs Saïed. La situation est grave et les files d’attente sont de retour devant les boulangeries. La situation risque même de s’aggraver, selon M. Haboubi.

Mais que s’est-il passé ? Le trésorier a indiqué que le président de la République était intervenu au mois de juillet dernier, lors de la dernière pénurie, pour que les boulangeries soient approvisionnées exceptionnellement d’un quota supplémentaire d’environ 70.000 quintaux de farine. Or, durant les mois d’octobre et de novembre, le ministère du Commerce a cessé de fournir cette quantité exceptionnelle et s’est contenté de servir les quotas conventionnels, ce qui a provoqué un retour de la crise, avec au menu : files d’attente, manque de pain et rationnement entre les citoyens pour que tout le monde soit servi.

Cela a poussé les boulangers à puiser dans leur stock mensuel, pour assurer l’approvisionnement des Tunisiens et répondre à la demande, au lieu de rationner. La quantité disponible chez les boulangers devrait finir dans une semaine à dix jours, si le ministère du Commerce ne réagit pas, prévient le responsable.

À cela s’ajoute le fait que l’État n’a pas honoré ses dus envers les 3.317 boulangeries concernées : la semaine dernière il devait aux boulangeries classées quinze mois d’arriérés de compensation représentant 280 millions de dinars. Certes, entre temps l’État a payé 19 millions de dinars, l’équivalent d’un mois. Mais, ce montant sera consacré au paiement des dus des boulangeries envers la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), affirme Sadok Haboubi.

Résultat des courses, les boulangeries n’ont pas la farine et la semoule nécessaires pour faire le pain et en plus elles ont des problèmes financiers et n’arrivent plus à joindre les deux bouts. D’où, l’appel lancé au chef de l’État pour intervenir.

Concrètement, les problèmes des finances publiques ont fini par rattraper les boulangeries. Rappelons qu’en août dernier en pleine crise du pain, huit navires étaient en attente de paiement, pour décharger leurs cargaisons de céréales, selon Echaâb News.

L’État est d’une part incapable de payer les dus des boulangers et d’autre part n’a pas les moyens d’importer plus de céréales, du moins dans des délais n’impactant pas l’offre. Sur les 21,93 milliards de dinars d’emprunt extérieur prévus dans la loi de finances rectificative, l’État n’a mobilisé que 10,56 milliards de dinars.

En se référant à la loi de finances rectificative, la compensation des produits de base passerait de 2.523 MD à 3.805 MD entre les estimations de la LF 2023 et celles de la LF rectificative 2023. L’objectif étant de fournir les fonds nécessaires pour l’importation des besoins supplémentaires de céréales et compenser le manque au niveau de la production causé par la sécheresse. Mais, selon les chiffres publiés à fin août 2023, seulement 46,9% des dépenses programmées de compensation ont été réalisées, soit même pas la moitié pour huit mois sur douze.

On apprend aussi que les dépenses de compensation des produits de base ont été délaissées au profit de celle des carburants. Ainsi, les dépenses de compensation ont baissé de 27 MD atteignant 4.139 MD fin août 2023 contre 4.166 MD fin août 2022. Une baisse de 1.174 MD qui concerne les dépenses de compensation de produits de base face à une hausse de 1.109 MD des dépenses de compensation du carburant et de 38 MD des dépenses de compensation de transport.

Et les choses ne vont sûrement s’arranger en 2024 puisque le projet de la loi de finances 2024 prévoit de baisser de 5,6% les dépenses de compensation destinées aux produits de base.

L’État n’a pas payé 261 millions de dinars d’arriérés aux boulangeries représentant quatorze mois de compensation. Il n’a pas, non plus, honoré ses dus envers l’Office des céréales qui reste totalement dépendant de la BNA Bank. Dans leur rapport pour les états financiers clos au 30 juin 2023, les commissaires aux comptes ont précisé que « les engagements de l’Office des Céréales envers la Banque totalisent 4.957,29 millions de dinars au 30 juin 2023 (soit environ 27,9% du total des engagements de la clientèle, en bilan et hors bilan). Ces engagements sont refinancés directement auprès de la BCT pour un montant de 2.615,84 millions de dinars à cette même date. Ils ont connu une hausse de 189,22 millions de dinars (+4%) par rapport à leur niveau au 31 décembre 2022 et enregistrent un dépassement significatif du seuil de 25% des fonds propres nets de la Banque, imposé par l’article 51 de la circulaire BCT n°2018-06 du 5 juin 2018 ». Et d’ajouter : « Le financement de l’Office des Céréales a impacté de façon significative la trésorerie de la Banque qui a enregistré un solde négatif de 5,06 milliards de dinars au 30 juin 2023, contre -4,54 milliards de dinars au 31 décembre 2022. Il est à noter que les chèques tirés par l’Office des Céréales sur la Trésorerie Générale de Tunisie au titre de ses droits à la compensation, qui ne sont pas encore encaissés par la Banque au 30 juin 2023, totalisent 3.224,07 millions de dinars ».

Ces problèmes financiers se sont répercutés sur les importations de céréales. En se référant aux chiffres de l’Observatoire national de l’agriculture (Onagri), les importations de blé tendre (farine) en volume ont diminué de 79.400 tonnes par rapport à 2022, représentant une baisse de 8,41%.

Les importations de blé dur (semoule) en volume ont augmenté de 211.100 tonnes par rapport à 2022 (+48,2%), ce qui est logique puisque 2023 a été une année exceptionnelle en termes de sécheresse et la moisson ne va même pas couvrir les besoins en semence pour l’année prochaine. La Tunisie, étant plutôt producteur de blé dur, a dû combler le manque de production, en augmentant l’importation du blé dur, peut-être au dépend du blé tendre. Ce qui pourrait expliquer la disponibilité du pain de semoule au lieu de la baguette normale dans les boulangeries. Ceci exaspère beaucoup de Tunisiens qui pensent que les boulangeries font exprès de vendre le pain de semoule qui est plus cher pour faire plus de profit.

On notera que les prix à l’importation des céréales ont connu une baisse de 25,3% pour le blé dur et de 21,5% pour le blé tendre, toujours selon l’Onagri. Donc, la baisse des importations de blé dur ne peut pas être expliquée par une hausse des prix au niveau mondial de cette denrée.

Une nouvelle crise du pain s’annonce, si les autorités ne réagissent pas rapidement. L’État tunisien se trouve entre le marteau et l’enclume : il manque de ressources mais il doit répondre aux besoins des Tunisiens, tout en achevant de payer ses dettes extérieures. Un arbitrage pas facile à faire. Affaire à suivre.

Imen Nouira

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