L’argent sinon la prison

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L’argent sinon la prison, c’est en substance ce qu’avait déclaré le président de la République, Kaïs Saïed, en évoquant les travaux de la commission de conciliation pénale. C’était il y a deux mois jour pour jour. Au moins, le ton était donné et le chef de l’Etat s’est montré totalement transparent sur ses intentions, malgré les justifications de ses laudateurs. Il faut au moins ça pour récolter la somme faramineuse de 13,5 milliards de dinars annoncée avec assurance par Kaïs Saïed lors de la mise en place de cette commission. À trois jours de la fin des travaux de ladite commission, il semble établi, comme nombre d’observateurs l’avaient prévu, qu’il n’est plus du tout question d’une telle somme. Toutefois, pour ne pas perdre totalement la face, il faut bien trouver de l’argent et faire raquer ceux qui en possèdent. C’est que les entreprises communautaires, autre grand projet du président de la République, ne vont pas se financer toutes seules…

C’est ainsi que durant les dernières semaines, les hommes d’affaires et les grandes fortunes du pays se relayent derrière les barreaux. L’État tunisien s’est rendu compte que plusieurs personnes sont suspectées d’implication dans diverses affaires de blanchiment d’argent, de trafic d’influence et autres chefs d’accusation. Le fait que ces personnes soient, en même temps, très riches n’est certainement qu’un pur hasard. Donc, plusieurs de ces personnes se retrouvent sous les verrous et sont déjà en train de négocier avec la commission pour déterminer la somme d’argent à payer qui leur permettrait de retrouver leur liberté. Bien mal intentionné celui qui y verrait une forme de racket à grande échelle organisé par l’État. Au contraire, l’État se mobilise pour récupérer l’argent du peuple spolié par ces grandes fortunes. « Qu’ils rendent l’argent, plus les 10%, sinon point de réconciliation ! Ils seront poursuivis en justice sinon ! Qu’on arrête avec les avocats et les experts, nous n’avons pas besoin de rapports et d’expertises, nous avons les chiffres ! L’argent qui a été pris au peuple doit lui être rendu, c’est tout ! », avait fulminé le président de la République devant les membres, terrifiés, de la commission de conciliation pénale. On ne peut pas être plus clair que cela.

Cette commission mérite, par ailleurs, que l’on s’y attarde un peu. Rappelons d’abord que sa mission prend fin, d’après le décret présidentiel à l’origine de sa création, le 11 novembre 2023. Cela fera un an que la commission tente d’atteindre l’objectif totalement irréaliste que lui a fixé le président de la République. La courte existence de cette commission n’aura pas, non plus, été un fleuve tranquille, à défaut d’être long. En mars 2023, le président de la commission a été viré, sans ménagement, par Kaïs Saïed. On lui aurait reproché la faiblesse des résultats et la lenteur des procédures. Depuis, la commission est restée sans président. La commission, ou plutôt l’une de ses membres, s’est attirée les moqueries et les railleries d’une grande partie des Tunisiens en juin 2023. Devant le président de la République, dont la connaissance très superficielle des chiffres n’est plus un secret, une des membres de la commission a évoqué la possibilité de récupérer, auprès d’un homme d’affaires, la somme hallucinante de 30 « billions » de dinars. Le président Kaïs Saïed était ébahi devant une telle révélation et ne s’est pas du tout interrogé sur la fiabilité du chiffre qui lui a été donné. Il s’en est rendu compte plus tard, suite aux moqueries et aux critiques, et a donc procédé au limogeage de la membre de commission qui avait parlé de billions de dinars.

Le 7 novembre 2023, heureuse coïncidence, les hommes d’affaires Marouen Mabrouk et Abderrahim Zouari ont été placés en garde à vue pour cinq jours. Selon son avocat, Marouen Mabrouk a déjà entamé une procédure de conciliation avec la commission. Cela ne lui aura pas épargné le fait d’être placé à Bouchoucha. D’autres hommes d’affaires sont dans la même situation et sont emprisonnés, en attendant de voir combien ils vont mettre sur la table. D’une manière ou d’une autre, le projet présidentiel de récupération de l’argent volé doit réussir. Il s’agit de l’une des pierres angulaires de sa vision pour la Tunisie et puis il faut de quoi alimenter le récit de l’intrépide justicier qui va rendre justice au peuple. Devant l’échec de la commission, la colère du président sera terrible. Parions, dès maintenant, que les procédures, les avocats et le fait que l’administration soit infiltrée feront partie, en vrac, des éléments de langage qui seront utilisés pour justifier et expliquer l’échec. La commission de conciliation pénale ne réussira à récolter que des clopinettes pendant que les masses s’extasieront devant les arrestations.

La conciliation pénale est une mauvaise idée qui s’est avérée être inefficace et n’a pas donné les résultats escomptés. Personne, et surtout pas le pouvoir en place, n’osera évidemment l’admettre. On préférera, dans une tradition purement tunisienne, aller vers la dérive autoritaire et judiciaire plutôt que de se dire que l’idée du président n’a pas marché. On préférera invoquer mille et un prétextes pour dire que l’idée était lumineuse, mais on ne l’a pas laissé la mettre correctement en œuvre. Et puis, comme d’habitude, les masses passeront à autre chose…

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