La mascarade qu’est le parlement juilletiste et globalement le processus et ses slogans, est aujourd’hui confirmée par les actions de tous ses protagonistes qui se débattent dans leur propre incompétence. La surenchère autour de la cause palestinienne et la course pour contenter le grand chef, très à cheval sur la question, ont accouché d’un imbroglio tragi-comique. Les nouvelles approches semblent essuyer échec après échec et c’est du fait d’un surprenant mélange entre ignorance, amateurisme et inaptitude.
Diriger un pays, définir des politiques, des orientations, des visions n’est pas donné à tous. Surtout, cela ne doit en aucun cas être guidé par les émotions et l’emballement impulsif. On a vu pendant ces dernières 24 heures l’essence même de cet amateurisme et une manifestation du déséquilibre des institutions de l’État.
La proposition de loi sur la criminalisation de la normalisation avec Israël est au cœur d’un chaotique non-débat, sur fond de violation du principe de séparation des pouvoirs (ou fonctions). Au premier test, voilà que les prérogatives d’une assemblée, dont on a toujours relevé le caractère fantoche, sont mises à mal par le pouvoir exécutif.
Le texte, examiné en commission, sans qu’il n’y ait consultation des parties concernées par le sujet, a été adopté avec tous les travers et les incohérences qu’il contient. Une adoption qui s’est faite dans la précipitation en réaction aux massacres en cours en Palestine. Oubliés la logique, la raison, le bon sens… il fallait faire vite pour marquer le coup, surtout que le Président n’a eu de cesse de répéter que normaliser c’est une haute trahison. Les députés de la commission ont ainsi mis la vitesse supérieure et renvoyé en plénière le texte pour vote. Initialement prévue pour le 30 octobre, cette séance a été reportée par le président du Parlement, sans raison aucune. Puis une date a été fixée pour le 2 novembre, symboliquement disait-on pour marquer la commémoration de la Déclaration de Balfour.
C’était une séance qui a vu défiler des députés portés par des émotions exacerbées. Certains hurlaient, d’autres pleuraient, encore d’autres qui se lançaient des accusations. Bref. Les nostalgiques du bon vieux temps et de l’ambiance des assemblées lors de la « décennie noire » ont été bien servis. Cette séance a surtout été le lieu d’un coup de théâtre. Les députés s’écharpaient pour le renvoi en examen ou non du texte et le président du Parlement s’absentait par intermittence mystérieusement. Brahim Bouderbala lâche une bombe en pleine discussion : le président de la République considérerait que la proposition de loi porterait atteinte aux intérêts extérieurs de la Tunisie. On a donc le président du Parlement qui dit, sans gêne aucune, qu’il s’est entretenu avec le président de la République et que celui-ci perçoit le texte comme une atteinte à la sûreté de la Tunisie. Sans gêne aucune aussi, Brahim Bouderbala met la pression aux députés pour qu’ils n’adoptent pas la loi et va jusqu’à suspendra la séance quand les choses ont dégénéré.
Stupeur et tremblements dans les rangs des députés et chez l’opinion publique. Comment le président de la République, celui qui a toujours dénoncé la normalisation et l’a qualifiée de haute trahison, pouvait-il bloquer l’adoption de cette loi ? Incompréhensible. Pour les députés qui voulaient passer le texte coûte-que-coûte, il n’était pas question de céder. Brahim Bouderbala, de son côté, ne voulait pas céder et tenait à appliquer les directives de son patron en bon soldat discipliné.
Indépendamment du fait que le texte soit bourré de dangereuses approximations, dénotant de l’amateurisme de nos chers députés, il s’agit là d’une violation avérée du règlement intérieur du parlement, de la constitution et de toute coutume démocratique. L’exécutif s’est ingéré directement dans les prérogatives législatives sans aucun respect du principe de séparation des pouvoirs. Et il a été aidé en cela par le président du Parlement en personne. Situation ubuesque qui résume à elle seule la nature de ce régime caractérisé par le pouvoir d’un seul et unique. Le locataire de Carthage est semble-t-il sous pression et aimerait éviter d’en arriver à renvoyer la proposition de loi après son adoption. Cela viendrait à écorner son image de défenseur de la cause, même si les observateurs s’accordaient à dire que le texte est médiocre.
La conclusion qu’on pourrait tirer de ce feuilleton, c’est que l’État a été empêtré dans l’affect et a exclu la rationalité. Un cafouillage qu’on aurait pu facilement éviter, mais l’amateurisme, à tous les niveaux, a malheureusement pris le dessus.